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Indiscutable, indépassable la réforme de 1962 est considérée comme le tournant politique de la Vème République, la révision qui révèle toute la logique institutionnelle portée par la nouvelle Constitution de 1958. Assurant le plein déploiement des institutions de la République, l’élection du Président de la République au suffrage universel direct permettrait de résoudre les 2 questions constitutionnelles qui ont longtemps grevées le fonctionnement du régime parlementaire, et même de manière structurelle le bon fonctionnement du régime représentatif depuis la Révolution de 1789 : celle de la légitimité et celui de l’équilibre des pouvoirs. Non seulement cette révision consacre définitivement un canal de légitimité politique au sein d’un État moderne dont l’autorité serait enfin restaurée, mais elle assurerait de surcroît une « balance des pouvoirs » effective, en restaurant l’autorité du pouvoir exécutif vis-à-vis d’un Parlement dont les compétences sont désormais rigoureusement encadrées, limitées, et affaiblies.
Si elle est source d’excès possible, tel le renforcement de l’autorité gouvernementale vis-à-vis du parlement notamment, elle est considérée comme une réforme dont il ne serait plus possible de discuter la pertinence, voire les dangers. Les qualités avancées par cette réforme effacent les défauts qu’elle est susceptible de générer.
Pourtant, il nous semble possible sur le plan juridique et constitutionnel et même nécessaire sur le plan politique dans un contexte de « durcissement » des régimes démocratiques, entendons sur le plan de la légitimité démocratique des institutions républicaines, de revenir sur cette réforme et de discuter de ses effets, soit 60 ans après sa mise en œuvre en combattant deux a priori, qui à force de réitération, finissent par figer toutes réflexions constructives sur l’évolution nécessaire des institutions sous la 5ème République.
Celui du renforcement de la légitimité démocratique des institutions en 1er lieu. La réforme de 1962 est envisagée comme une étape nécessaire et inéluctable (Blum ?) du système imaginé dès le discours de Bayeux, et dont le mouvement participerait à un processus de pleine réalisation de la démocratie au motif que le peuple désignerait directement le président de la République. Par la même, elle serait le mécanisme constitutionnel idoine à l’exigence démocratique selon laquelle, dans une dimension rousseauiste, un peuple soit toujours maître de son destin politique, en participant directement la désignation de ses gouvernants, et d’abord le magistrat suprême, le Président de la République, dans un système constitutionnel qui repose d’abord sur son autorité. La réforme de 1962 réussit le coup double constitutionnel parfait, à l’instar de ce que souhaitait Sieyès en 1799: renforcer l’autorité de l’État par le haut en approfondissant la confiance par le bas !
Pourtant est-ce vraiment le cas ? Il est possible d’en douter pour 2 raisons. D’une part, la question de cette légitimation se pose à la lumière des effets politiques générés par les élections présidentielles lorsqu’elles amènent à la magistrature suprême des candidats disposant de la majorités politiques de plus en plus relatives et donc de plus en plus fragiles. D’autre part, cette élection a encore pour conséquence de cristalliser toute la temporalité politique de la démocratie sur un évènement, l’élection du président tous les 5 ans, au risque d’assécher tous les autres processus de participation directe du peuple au pouvoir, ce que l’on qualifie comme les processus de démocratie dites participatives (politiques et juridiques), toujours considérés comme secondaires et conditionnées par la dynamique générée par l’élection du président de la République.
Celui de l’équilibre des pouvoirs en 2nd lieu. La réforme de 1962 a toujours été envisagée comme une avancée démocratique au motif qu’elle permettait de soutenir politiquement le projet de réformation constitutionnelle des rapports entre les pouvoirs juridiquement consacrée par les mécanismes de rationalisation du parlementarisme établie par le texte de 1958, et de rehausser l’autorité gouvernementale vis-à-vis du pouvoir parlementaire, prédominant sous les Républiques précédentes. Bref la réforme de 1962 serait une garantie réelle et sérieuse du respect de la séparation des pouvoirs, le moyen d’établir l’équilibre organique entre deux organes constitutionnel participant conjointement à l’exercice du pouvoir qui s’exprime d’abord par l’exercice de la fonction législative.
Pourtant est-ce là encore vraiment le cas ? Il est aussi possible d’en douter pour 2 raisons au moins. D’une part, la réforme de 1962 entérine un double glissement institutionnel fatal pour toute logique d’équilibre entre les pouvoirs et consacrant la présidentialisation outrancière du régime dont la nature demeure pourtant parlementaire. Au déséquilibre en faveur des organes parlementaires sous les Républiques parlementaires, la réforme de 1962 fige un déséquilibre en faveur du pouvoir gouvernemental qu’il n’est plus possible de réformer. De plus, elle apparaît comme autorisant, grâce à la légitimité nouvellement acquise par Le Chef de l’État, une pratique institutionnelle contraire au texte constitutionnel : le pouvoir contre le droit. Elle permet ainsi un usage du pouvoir contraire à la Constitution ; il suffira de penser, ici, à la violation par le Président de la République de l’article 20 de la Constitution.
D’autre part, elle neutralise toute dynamique de réforme institutionnelle visant à rehausser les pouvoirs du parlement sous la Vème République. Sans cesse invoqué dans les projets de révisions constitutionnelles depuis 1993, le renforcement du Parlement est une ambition constitutionnelle dont les manifestations concrètes sont en totale inadéquation par rapport aux vœux sans cesse avancées par les représentants et la doctrine. Pourtant, le développement des mécanismes de rationalisation, accompagnés de la mise en œuvre de nouvelles formes de contrôle politique potentiel, par le juge constitutionnel comme par le peuple par exemple, ne permettrait-il pas d’assurer l’équilibre des pouvoirs tout en cassant la dynamique de la présidentialisation qui fige toute la dynamique institutionnelle sur la décision présidentielle ? La réforme de 1962, en concentrant la légitimité du pouvoir dans le Chef de l’État, fait obstacle, en pratique, à toute participation effective du peuple dans la production des normes. L’élection du Chef de l’État suffit comme moment démocratique, sans que l’on puisse penser de nouvelles formes de fonctionnement démocratique garantissant une meilleure participation du peuple, que ce soit par le référendum ou par la mise en place de mécanismes de démocraties participative ou délibérative
Telles sont les questions auxquelles ce workshop autour d’une discussion entre intervenants organisée autour des thèmes suivants :
Introduction :
Mise en perspective du contexte historique : les changements de regard sur la démocratie de 1962 à 2022
Que reste-t-il du débat relatif à la constitutionnalité de la révision par l’art.11
1/ L’Élection du président le République et le renforcement de la légitimité démocratique
La compatibilité théorique de l’élection du président de la République avec l’institutionnalisation du pouvoir en démocratie : quel lien entre le suffrage universel et la représentation politique en démocratie ?
L’efficience démocratique du lien chef-peuple par l’élection du président de la république au suffrage universel ?
Le renforcement du « pouvoir d’État » gouverné par l’élection du président de la république au suffrage universel ?
2/ L’Élection du président de la République et l’équilibre des institutions
La compatibilité théorique de l’élection du président de la République avec le régime parlementaire : la réforme du parlementarisme ?
Les exemples comparés : Allemagne, États-Unis ?
Les démocratures ?
3/ L’Élection du président de la République et l’instrumentalisation de la légitimité
La concentration de la légitimité dans un seul organe ?
Qu’en est-il de la « fusion » politique entre le Parlement et le gouvernement ?
La confiscation des modes alternatifs de participation au pouvoir ?
4/ L’Élection du président de la République et le déséquilibre des institutions
L’élection du président de la république au suffrage universel et la centralisation de la décision et les moyens concrets de la domination politique ?
L’élection du président de la république au suffrage universel et la neutralisation des contrepouvoirs ; quelles oppositions ?
L’élection du président de la république au suffrage universel et la dissolution de la responsabilité politique ?
Stéphane Mouton, Xavier Magnon, Wanda Mastor, Ariane Vidal-Naquet, François Saint-Bonnet, Bruno Daugeron, Bastien François, Marcel Morabito, Arnaud Le Pillouer, Pierre Brunet, Jean-Philippe Derosier, Julien Boudon, Christophe Euzet, Nicolas Sild, Pierre Esplugas-Labatut, Thomas Hochmann, Mathieu Carpentier, Aurore Gaillet…